Tel que l’a initié le pédagogue Philippe Meirieu, le rôle des centres de formation est à la fois d’instruire et d’éduquer, la finalité étant l’émancipation de l’élève et le développement de son autonomie. De ce fait, comme l’avait démontré aussi Olivier Reboul, tout enseignant ou formateur est confronté à un certain nombre de contradictions :

  • L’enseignant (et plus globalement tout formateur) doit s’efforcer de transmettre des normes sociales pour favoriser l’insertion de l’apprenant dans la société. Mais il doit aussi lui apprendre à penser par lui-même et à examiner de manière critique les règles sociales existantes. L’éducation à la liberté revêt donc un caractère paradoxal ;
  • Il existe de même une tension entre la nécessité de faire acquérir à l’apprenant des savoirs qui sont nécessaires à sa formation et la prise en compte de ses centres d’intérêt. En effet, tout apprentissage véritable nécessite la mobilisation de l’intérêt de l’apprenant. Sur ce point il précise lors d’une conférence qu’il tient à Lille que « la concurrence est le résultat naissant sous l’action de l’arme évaluative » et que cette concurrence est nuisible pour la majorité des apprenants. Seuls les savoirs de base ou scientifique, faisant sens pour l’apprenant pourront être assimilés durablement. Il est donc tentant de promouvoir dans un centre de formation des thèmes ou des activités qui sont susceptibles de déclencher l’intérêt immédiat de l’apprenant. Cependant, en privilégiant les centres d’intérêt des apprenants, le formateur risque de ne pas ouvrir à de nouveaux objets de connaissance et à de nouvelles pratiques culturelles. Philippe Meirieu résume le problème ainsi : « L’intérêt de l’apprenant est-ce ce qui l’intéresse ou plutôt ce qui est dans son intérêt ? Car de toute évidence, ce qui l’intéresse n’est pas toujours dans son intérêt et ce qui est dans son intérêt ne l’intéresse pas vraiment ».

Pour expliquer — voire dépasser — ces contradictions, Philippe Meirieu met en avant le fondement éthique de la formation (voir la charte éthique de JUNA SWISS). Il énonce ainsi deux postulats qui sous-tendent l’acte de formation :

  • Le postulat d’éducabilité : toute personne est susceptible d’être éduquée, et je suis capable, en personne, de l’éduquer. C’est ce principe qui conduit le formateur à faire évoluer ses pratiques pédagogiques de manière à faire évoluer positivement les apprenants, tant sur le plan cognitif que dans le domaine socio-affectif ;
  • Le postulat de liberté est le pendant du principe d’éducabilité. Dans les sociétés démocratiques, l’éducation ne peut être assimilée au dressage. Ses résultats sont donc incertains car en dernière instance, l’apprentissage est du ressort de l’apprenant. « Le formateur doit donc donner au sujet la possibilité d’exprimer ses propres projets individuels et collectifs » ;
  • Les postulats d’éducabilité et de liberté sont tous les deux, à la fois nécessaires et contradictoires, mais aucun des deux ne doivent être abandonné. Tout au contraire, c’est en cherchant comment rendre compatibles les principes qu’ils expriment que les pédagogues font « œuvre de pédagogie ». Philippe Meirieu reprend ici la formule de Rousseau dans l’ Emile ou de l’éducation, qui affirme : « Jeune instituteur, je vous prêche un art difficile, c’est de tout faire en ne faisant rien ». « Tout faire » au nom du principe d’éducabilité en construisant des situations structurées, diversifiées et riches… « En ne faisant rien », parce qu’on ne peut qu’inviter le sujet à s’engager par lui-même. Pour autant, Philippe Meirieu ne nie nullement l’intérêt de « contraintes », dans la mesure où elles sont fécondes, c’est-à-dire où elles constituent des dispositifs favorables à l’engagement et au dépassement du sujet. Il s’inspire beaucoup, sur ce point, de Korczak qui montre comment la contrainte qui impose le sursis à l’immédiateté autorise (sans, pour autant, pouvoir la contrôler) l’émergence de la pensée.

Il met avant tout l’accent sur le fait que chaque apprenant est différent et que les classes sont inévitablement hétérogènes. Face à cette hétérogénéité, il propose d’utiliser la pédagogie différenciée et plus particulièrement les groupes de besoin. De manière plus générale, il puise sa réflexion dans les écrits des grandes figures de la pédagogie telles Pestalozzi, Makarenko, Korczak, Montessori, Freinet, Fernand Oury, etc.

À partir des années 2000, son travail s’élargit aux questions éducatives sur le versant familial et sociétal. Il souligne, dans ses ouvrages et articles, en quoi la montée de l’individualisme social, décrit, en particulier, par Marcel Gauchet, la multiplication des prothèses technologiques et l’emprise publicitaire et médiatique poussent l’apprenant à se développer sur le mode pulsionnel et rend plus difficile l’accès à la pensée. Pour faire face à ces phénomènes, il puise à nouveau dans l’histoire de la pédagogie et développe ce qu’il nomme une « pédagogie du sujet » permettant à « l’apprenant d’être au monde sans occuper le centre du monde ». Il souligne l’importance, pour cela, dans toute éducation, de promouvoir le « sursis », la symbolisation et la coopération.

Alors qu’il prône l’étude de la littérature classique dans son essai Des enfants et des hommes paru en 1999, il avoue s’être trompé quand, 15 ans plus tôt, il estimait que « les apprenants issus de milieux défavorisés devaient apprendre à lire dans des modes d’emploi d’appareils électroménagers plutôt que dans les textes littéraires. […] Je me suis trompé. Pour deux raisons : d’abord, parce que les apprenants avaient l’impression que c’était les mépriser ; ensuite, parce que je les privais d’une culture essentielle. C’est vrai que, à l’époque, dans la mouvance de Bourdieu, dans celle du marxisme, j’ai vraiment cru à certaines expériences pédagogiques ».

Assurément Philippe Meirieux est une source d’inspiration pour l’institut JUNA SWISS.

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